Nous sommes lundi matin, 7h. Je sors de la maison que nous occupons à Huy et prends la voiture, j’ai une bonne demi-heure de route jusqu’à l’hôpital de Seraing. Je ne connais pas l’état du trafic le matin ni si je vais facilement trouver une place de parc alors je prévois de l’avance. Je commence mon horaire à 8h. Le trajet se passe sans accroc, je trouve une place facilement et me rend au local du SMUR. Il est 7h35. L’accès est sécurisé et se fait avec un badge. Nous l’avions reçu lors de notre journée d’introduction.
Arnold, l’infirmier avec qui je passe ma première journée, arrive avec le véhicule à 7h45. Comme expliqué par Geoffrey, le lundi a lieu le changement de site. L’ouverture du site pour la semaine a lieu à 8h, cela permet à l’infirmier d’aller chercher la voiture, et de la ramener, dans notre cas depuis Waremme pour venir à Seraing. Le SMUR possède deux véhicules, lors du changement de site, l’un finit la garde avec l’équipage sur un site et l’autre peut être rapatriée vers le site qui va ouvrir pour la semaine. La mise « au vert », c'est-à-dire l’annonce d’ouverture du site auprès de la centrale 112 se fait à 8h. Au même moment, l’équipage finissant sur l’autre site se met « au rouge », ferme le site pour la semaine. Cette rocade de site a lieu tous les lundis. Le second véhicule est amené dans le courant de la matinée par Michèle et le service technique afin d’avoir un véhicule « mulet » à disposition en cas de pépin.
Première adaptation culturelle, se faire une bise. Pour se saluer, les belges se font une bise, peu importe la hiérarchie, le fait d’être proche ou non, ou encore de venir de se rencontrer, tout le monde se fait une bise. C’est étonnant, mais cela a le mérite de me sentir directement accueillie et intégrée.
Un peu avant 8h, Arnold appelle l’équipe à Waremme pour annoncer qu’il est prêt. Puis, il appelle la centrale 112 de Liège pour informer « la mise au rouge » du SMUR de Waremme et « la mise au vert » du SMUR de Seraing. Ceci fait, il me donne un pager. Je souris car la marque est « swissphone », son design est vintage. Je découvrirai durant la journée que la sonnerie est stridente. Sur l’écran, qui s’illumine en orange, le message d’alerte apparaît en lettres formées de pixels.
Première mission de la journée, check du véhicule. Je découvre la quantité impressionnante de matériel capable de rentrer dans ce véhicule. Afin de faciliter la vérification du véhicule, les sacs sont scellés avec la date et les initiales de l’infirmier qui l’a vérifié. Je trouve ça assez astucieux, surtout qu’ils ont, entre autres: du matériel pour la gestion d’évènements majeurs, une valise pour des actes invasifs (tels que les drains thoraciques ou la cricotomie), un kit accouchement, des réserves de perfusions supplémentaires (et des traitements tels que le Cyanokit), ou le kit pour traiter les brûlures (matériel utilisé rarement, heureusement, mais nécessaire).
Je découvre le sac d’interventions principal. C’est une sorte de mélange du sac Airway et du sac circulation que nous connaissons en ambulance en Suisse. Il y a le nécessaire pour perfuser, administrer les médicaments les plus fréquemment utilisés en préhospitalier, gérer des petites plaies (compresses, désinfectant, bandes élastiques, etc.) mais également de quoi gérer les voies aériennes, administrer de l’oxygène, et intuber. La bouteille d’oxygène ne se trouve pas dans le sac mais à côté.
À la découverte du moniteur je ne peux m’empêcher de penser à Jean-Luc Clémence (enseignant de l'Esamb). Lui qui jure uniquement par le lifePak15 serait ravi de travailler au SMUR du bois de l’Abbaye. "Increvable et fiable" qu’il nous disait. Effectivement, celui-ci a plus de 10 ans, possède encore les palettes de défibrillation « au cas où » et fonctionne à merveille. Toutefois, quand il s’agit de le porter en intervention, j’ai l’impression de faire un exercice de soulever de terre unilatéral plutôt que de porter mon monitoring.
Notre première intervention est pour une hémorragie sur une rupture de varice, la localisation de la varice n’est pas mentionnée. Nous avons très peu d’informations, il s’agirait d’une femme de 70 ans, consciente, à son domicile. Nous arrivons avant l’ambulance. Un homme d’une septantaine d’années nous attend devant une petite maison de ville, il nous conduit vers sa femme dans la maison. Nous la trouvons assise sur une chaise, elle est penchée vers l’avant et nous tourne le dos. En arrivant près d’elle, nous nous apercevons qu’elle ne répond plus, elle présente un trouble de l’état de conscience, elle est pâle et diaphorétique. Il y a une flaque de sang à ses pieds. Nous la couchons rapidement. Le saignement a cessé spontanément, mais il est possible de suivre à la trace les derniers déplacements. C’est une varice au niveau de la malléole qui s’est rompue, étant sous anticoagulant, le saignement a été abondant. J’ai été surprise de voir la quantité du sang qui s'est écoulé d’une si petite varice périphérique. Elle est tachypnéique, tachycarde et hypotendue, elle souffre d'un état de choc hypovolémique. Elle est mise sous oxygène. Même stimulée, il est difficile de la garder éveillée. L’infirmier pose un cathéter veineux, mais avant de connecter la perfusion, des tubes d'examens sanguins sont prélevés. Particularités, la prise de sang est effectuée en préhospitalier quand cela est possible, afin d’accélérer les analyses sanguines dès l’arrivée à l’hôpital. Nous demandons au mari s’il y a une liste de traitements. Il me la tend et je me retrouve fort empruntée. Je pensais être en mesure de reconnaître les molécules, mais je suis confrontée à des noms que je ne connais pas. Je découvre que l’usage du DCI n’est pas de coutume, y compris au sein du personnel soignant. Il me faut faire une gymnastique mentale pour tenter de les traduire, manœuvre qui n’est pas toute simple. Je la tends au médecin qui me la traduit, il y a un anti-hypertenseur, un anticoagulant et un anti-diabétique oral.
L’ambulance arrive, il s’agit d’un véhicule des pompiers, deux sapeurs-pompiers ont la double casquette de secouriste-ambulancier. Ils ont le pantalon jaune et turquoise du domaine préhospitalier mais portent leur polo de sapeurs pompier. J’apprendrai par la suite que tous les pompiers doivent effectuer des heures en ambulance durant leur garde, celle-ci dure 24h dont 8 sont consacrées au secours médical.
La relève est rapide, la personne est transférée sur le brancard à l’aide de la civière à aube. Le brancard est entré dans l’ambulance.
En montant dans le véhicule, je m'aperçois qu’il parait bien vide, effectivement il n’y a pas de moniteur. S’y trouve le matériel pour immobiliser, prendre les paramètres manuellement, gérer les petites blessures ou une hémorragie, libérer les voies aériennes et ventiler. Toute la partie administration de traitement et perfusion n’y est pas. Nous installons donc notre moniteur pour garder une surveillance et prenons le sac d’interventions du SMUR avec nous.
L’ambulance est un vecteur de transport, le SMUR apporte le matériel de surveillance, de traitement et les compétences médicales lors des prises en charges. Sur le trajet du retour, le médecin monte dans l’ambulance avec le patient et un ambulancier, je monte à l’arrière avec eux. Nous rentrons avec les moyens prioritaires enclenchés. Je pose la question sur la nécessité des signaux prioritaires, certes la patiente reste hypotendue, mais ayant reçu 500 mL de remplissage intraveineux et en position de Trendelenburg son état s’est amélioré. À présent, elle nous parle et est en mesure de nous dire ce qu’il s’est passé. L’ambulancier me dit que selon la législation belge, dès qu’un véhicule de secours est en mission, il a l’obligation d’avoir ses feux bleus et la sirène en marche.
Le retour vers l’hôpital est sportif, les routes belges ne sont pas aussi belles que les nôtres. Je trouve qu’il y a bien plus de nids de poules, cela secoue beaucoup et je trouve leur conduite bien brusque, mais surtout avec une vitesse peu adaptée à l’état de la route et de la circulation. Autre surprise, la patiente est bien attachée sur le brancard, elle a les ceintures scapulaires également, mais le personnel ne s’attache pas, voire reste debout en se tenant. Je découvrirai que cela arrive régulièrement, les soignants n’ont pas réellement d’explication à me donner à part qu’ils n’ont pas vraiment l’habitude de s’assoir ou s’attacher. Seule une poignée de soignants le font.
Nous sommes arrivés sains et saufs à l’hôpital du bois de l’Abbaye. Durant le transport, le médecin a appelé pour annoncer la patiente, un comité d’accueil nous attend à la sortie de l’ambulance. Je pense qu’il s’agit du tri, mais apparemment pas. Une personne demande la carte d’identité de madame afin de l’inscrire et nous sommes dirigés vers un box. Aucune réelle transmission n’est faite, le médecin raconte à son confrère la situation tandis que l’infirmier raconte la même chose à l’infirmier du box. La personne est installée dans un box et l’équipe hospitalière prend le relai.
Avant de quitter l’hôpital pour aller rétablir au local, nous prenons une étiquette du patient afin de compléter les dossiers. La fiche d’intervention est remplie par le médecin. Il s’agit d’une fiche papier, sur laquelle figurent les informations générales de l'intervention, lieu, identité du patient, heures d’engagement, d’arrivée, etc. Il y figure l’évaluation, les paramètres et les traitements administrés. Très peu de place est consacrée à l’anamnèse, contrairement à ce dont nous avons l’habitude. Il n’est pas mention de l’état dans lequel est trouvé le patient à l’arrivée des secours, ni l’évolution précise de l’état hémodynamique. Il y a un espace réservé au diagnostic médical. Dans notre cas, y figure simplement « choc hypovolémique sur rupture varice du membre inférieur ».
Nous rentrons au local, le matériel est rapidement rétabli et l’infirmier me montre la partie administrative. Il inscrit le numéro de mission, les heures, les membres de l’équipage. Il doit également remplir une feuille de facturation, chaque geste est facturé. Le déplacement d’un SMUR n’est pas facturé, mais la consultation médicale, la prise de paramètres et leur surveillance ainsi que la pose de cathéter veineux périphérique avec l’administration de chaque traitement l’est. C’est une feuille sur laquelle chaque geste doit être répertorié. Le SMUR possède également un carnet de suivi de mission, y est inscrit, le numéro de mission, le motif d’appel, le nombre de kilomètres parcouru et l’hôpital de destination. L’administratif au complet près un peu moins de 10 minutes.
Une fois les tâches propres au SMUR terminées, nous « traversons » pour aller aux urgences. En effet, entre les missions, l’équipage va prêter main forte aux urgences.
Un peu avant 14h la relève infirmière de l’après-midi arrive, l’infirmier du matin transmet à son collègue de l’après-midi s’il s’est passé quelque chose de particulier.
Je poursuis l’après-midi avec Fabienne, nous avons eu deux autres interventions, deux transports jusqu’à notre hôpital.
Après une première journée remplie de découverte, de rencontres, l’horaire se termine à 18h. Je me change et je prends la route. J’arrive vers 18h45 à Huy. Je retrouve Geoffrey et nous échangeons quelques mots sur nos journées respective. La mienne est terminée et la sienne va commencer. Il fait un horaire de nuit pour son « premier jour ».
Le SMUR du CHBA, n’a qu’un seul véhicule en service, afin de pouvoir accueillir deux étudiants, nous sommes également planifiés sur des horaires de nuit. Les nuits au SMUR sont bien différentes des nuits en ambulance que je connais. Ici, les infirmiers ne dorment pas et vont, comme durant la journée, aider aux urgences entre les interventions. Les nuits sont parfois plus calmes, cela permet de souffler un peu. Cependant, pour le repos, il faut attendre la fin de la garde et de rentrer chez soi. Les médecins, qui font pour la plupart des gardes de 24h, peuvent se coucher et dormir, ils sont appelés si leur expertise est requise par les médecins des urgences ou lorsqu’il y a une intervention pour le SMUR.
Lou CAZAN
Etudiante Ambulancière
Volée 2022-2025
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